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AUTOPORTRAIT, Galerie Gaya

« Le grand débat de l’art de notre temps n’aura pas été le débat de la figuration, et de l’abstraction, il aura été le débat de la représentation du visage et de son impossibilité »

Jean Clair.

Trait pour trait

Le portrait, et a fortiori l’autoportrait, se résout étymologiquement dans l’équation spéculaire du « trait pour trait » ; comme qui dirait œil pour œil, joue pour joue, tache pour tache ; péripéties d’un troc entre chair, organe et accoutrements… d’une part, mine de plomb, encre, pigment etc. de l’autre.

Toujours est-il qu’entre le modèle et le reportage, gît un reste qui fait que la tête s’entête à passer de plain pied a la fiction picturale (sculpturale…), que le regard s’abime en se prenant au jeu de sa réflexivité, que le crâne pointe irrévocablement sous la peau.

Ce troc ou ce protocole de transport homothétique ne s’effectue pas sans surprise, et si on se propose de s’autoportraiturer, ce qui serait une façon de s’infigurer ce n’est jamais sans se dé-figurer, entre-temps. Et chaque emprise ou prise sur nos monts, creux, os et humeurs, ne va pas sans cette méprise qui nous fait mesurer, en dépit du pacte illusionniste, la distance entre ma tête et sa représentation. On viendra vite à l’idée qu’une dissemblance ontologique sépare le bon grain de la peau, du factice grain de la toile. Mais c’est dans ce grand écart que l’esthétique gagne sa forme !

Autoportraits, ici et maintenant

Se peindre, se représenter, se donner, ici et maintenant, à Tunis en 2014 nous renvoie in fine à une initiative et à une question. L’initiative est amoureusement portée puis exportée, à nous artistes, par le commissaire de l’exposition : Imen Ben Rhouma. L’aval institutionnel est cosigné par la sympathie adhésive des deux galeristes : Aicha et Amira.

La question c’est celle ouverte par un sous genre, au demeurant inachevé et inachevable : l’autoportrait.

La question nous somme à mesurer la complexité et l’étendue d’un problème, qui du coup, nous met sous tension, sollicite investigation, décharge et résolution.

Au final on nous expose à ce défi : livrer notre image ou ce qui en fait foi.

Instaurer sur support (toile, papier, etc.) ou moyennant d’autres matériaux et médiums (photo, impression, rebuts, etc.), cet artefact qui serait comme mon double symbolique ; où se frêle et intermittent trait d’union entre physique et métaphysique. Dit autrement : à travers une aperception de soi, comment faire accéder à la présence, ce commerce problématique entre la chair et la culture ; entre l’identité

Tête à tête

Un « tête à tête » avec soi où je peux m’abîmer dans le « qui Suis-je ? » serait une posture insoutenable sans le secours d’une surface ou d’un quelconque artefact constituant cet écran projectif, sinon cette matière malléable, qui font passer la confusion des affects, des images et des représentations à l’épreuve des textures, des matières et des signes.

En modulant un peu on ajoutera :

Chaque réflexion ou autoréflexion qu’elle participe de la cogitation spéculative ou de l’imagerie optique réclame une résistance et un faire. La résistance est celle des écrans-subjectiles, des signes et des matières ; truchements et lieux d’inscriptions, d’empreintes et de leurs transfigurations. Le faire est celui des mains, des outils et des machines qui s’affairent avec ce qui résiste, pour faire passer de l’invisible dans le visible.

Reste que, ce « tête à tête » auquel on nous invite s’avère être tôt ou tard un « tête à têtes » et au « qui suis-je ? » se greffe peu OU Prou un « qui sommes nous ? ».

Tout entretien avec soi engage une négociation entre la singularité de mes gènes et la généralité d’une culture et se Saisir Au singulier, ne va pas sans ce dessaisissement généré par le pluriel. « je sommes ; nous suis » n’est pas qu’aberration linguistique !

Tête à masque

Les œuvres ici exposées attestent de la possibilité et de l’impossibilité de se faire présent par sa tête. Très peu d’artistes ont osé se donner à visage « découvert »., Mais force est de remarquer que dans ces autoportraits « à la lettre » : du visage, on conclut de suite au masque. Toute une cosmétique accompagnée d’une scénographie dramatise ce mi-lieu entre la tête et le masque, assure un trafic entre les gènes et la culture.

L’artiste passant de l’autre côté, en volume ou à plat, sous les espèces de ses propres traits : se risque au jeu, seul, ou pami d’autres figures ou accessoires qui nous font face ; on n’est pas de court, ça nous regarde ; l’effigie de l’artiste comme signature trahit une énigmatique présence à soi et au monde finit paf mouler en creux l’imminente disparition de l’auteur ; la nôtre est signalée imparable dans la foulée.

Tête, visage, tronche, où ce qui en tient lieu emblématisent à merveille la vanité, plus que tout autre nature morte ou vivante ! Les artistes, les autres, ceux qui n’osent affronter le miroir conscient ou pas, ils renouent aves cette Vieille invention renaissante pour qui, peindre reviendrait immanquablement à se peindre. L’artiste est comme en dépôt dans ce qu’il fait.

Tout ce qui est de sa signature le donne sous un de ses masques, l’exprime par les gouffres du dedans si ce n’est par les artifices du dehors. Un « je suis » se coltine à ses infinis « il y à ». Mais à combien de reprises l’inépuisable « il y a » épuise la finitude du moi ?

La dispersion et la mise en éclat du monde par les techniques tous azimuts entament le moi et son intégrité ; on est pris dans un labyrinthe sans promesse de sortie. L’autoportrait « sans visage » serait dans ce cas une appropriation fragmentaire du monde pour sauver notre peau.

Sauver sa peau par peau interposée —toiles, écrans ou toutes autres matières —-scarifications, tatouages, cosmétiques sont autant de stratégies appropriatives qui, par la conquête et le marquage d’un petit lopin d’espace s’assurent une pensée sur Soi et sur un monde pourvu désormais, d’un visage humain.

Imed Jemaiel, novembre 2014

Imed Jemaiel, acrylique sur toile
Imed Jemaiel, acrylique sur toile

Le portrait (et à fortiori l’autoportrait), étymologiquement, se résout dans le trait pour trait ; troque entre chaire et face d’une part, contre, fusain, crayon, pigments, etc.… de l’autre. Dans ce commerce spéculaire, on incise, gratte, percute ou au contraire on caresse ; œil pour œil, nez pour nez, cheveux pour touffe… Mais entre le modèle et le reportage gît toujours un reste qui fait que la tête soit inépuisable, que le regard s’abîme, que le crane pointe sous la peau !

… Mais aussi, on peut se regarder dans le papier-la toile-comme le souhaitait H. Michaux ; alors de ce face à face, un jeu de grimaces de lignes et de forces fait rhizome ; se raconte la vie dans et par les plis. Le flux de la matière graphique rampante tentant de colmater la brèche ouverte par cet entretien bi-facial ne fait peut- être que dresser une cartographie du désir où les voies de circulations arachnéennes n’attestent que le travail d’une pulsion et d’un imaginaire court-circuitant ainsi le corps de l’artiste avec celui du regardeur.

Imed Jemaiel