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LES TABLEAUX TALISMANS DE IMED JEMAIELl par Amel bouslama

LES TABLEAUX TALISMANS DE IMED JEMAÏELl

par Amel bouslama

« Le Dessous des ratures » exposition qui s’est déroulée du 06 au 23 avril 2014, A la galerie A Gorgi, Sidi Bou Saïd.

Le fait saillant qui s’est exercé sur ma perception lorsque mon regard a rencontré les tableaux en grand, moyen et petit format nommés « Le Dessous des ratures », est cet hymne à l’écriture, ce fou langage construit d’une synthèse de signes berbères, d’art aztèque, de parchemin, d’enluminure, d’ancienne tablette, de manuscrit de contrat d’autrefois avec leurs fameuses signatures et de je ne sais quoi d’autre.

Etrange est cet enchevêtrement de fermetures éclair aux dents blanches, ces chenilles à la queue leu leu, ces bouts de rails qui déroutent et s’entremêlent en serpentant entre les formes et les couleurs et tous ces yeux qui nous regardent !

En vérité, toutes ces lectures d’identification anecdotiques sont secondaires face à ce dilemme : le leurre visuel dans lequel le plasticien nous jette par ses peintures-écritures.

Imed Jamaiel, Paypage (I), Acrylique sur toile, 213 x 148 cm, 2013
Imed Jamaiel, Paypage (I), Acrylique sur toile, 213 x 148 cm, 2013

A l’origine dessiner et écrire font un

Avec Imed Jemaïel, écrire, dessiner et peindre ne sont qu’une seule et unique activité. Certes, notre peintre-écrivant ne fait que confirmer la définition ancienne de l’activité des hommes du Neandertal lorsqu’ils dessinaient les animaux sur les parois des grottes de Lascaux dans un but de connaissance, et non pas pour communiquer et encore moins pour décorer comme pourrait l’interpréter le commun des mortels.

En effet à l’origine, le verbe graphein du grec ancien ne signifie-il pas dessiner et écrire à la fois ! En vérité, les signes qui ont été créés par les hommes que ce soit pour dessiner ou écrire, ne font pas de distinction entre l’une ou l’autre action.

Imed après au moins deux décennies de pratique sur la problématique de l’écriture-dessin, en allant l’année dernière à la rencontre de l’art dans la ville des arts et des lettres Paris, a déniché un outil, un traceur qui permet de peindre avec un stylo. Rempli d’acrylique, notre artiste l’a utilisé pour inscrire comme un script et tracer comme un dessinateur sur une toile ; le résultat est ces dessous de ratures, mais quelles ratures ! Plutôt des signes mystérieux qui semblent vouloir garder le secret de leurs signifiés. Toiles enceintes, silencieusement fières et contenant une énorme dose de pouvoir de captation.

Imed Jamaiel, Le Dessous des Ratures, 2014
Imed Jamaiel, Le Dessous des Ratures, 2014

Justement à notre avis, notre fascination provient de la présence de la valeur condensée du noir qui s’oppose à la toile immaculée blanche. A travers ce marquage qui frappe le regard du sceau de l’imprimeur lorsqu’il effectue son travail, Imed le graveur de formation, agit.

Parmi tout ce contraste clair-obscur allant de l’extrême obscurité à l’extrême clarté, une rare note d’ocre jaune lumineuse puis une autre de couleur verte, symbole de paradis pour certains, émergent dans le tableau et finissent par établir le parfait équilibre. Ainsi, la clarté et l’obscurité, le rêve berné symbolisé par la dorure ne constituent-ils pas le lot de la condition de l’être humain sur cette terre!

En adoptant l’horizontalité, notre plasticien passionné de lecture et d’écriture, ne fait que continuer à adopter la posture qui engage tout lecteur. Ainsi, sa position corporelle assise ou debout suit la direction d’une ligne droite horizontale qui commence souvent à droite et se poursuit jusqu’à la limite gauche de la toile. Et ainsi va le tableau, de droite à gauche et de haut en bas. Mais tel que je l’ai vu procéder dans son atelier, notre plasticien commence par mettre quelques notes de couleurs à travers la toile, puis travaille fragment par fragment, ensuite il lie les composantes entre elles, gardant présente la direction horizontale des lignes et des formes. L’aspect frappant dans ce travail est la patience avec laquelle le tissu plastique se brode, telle une dentelle qui se répand.

Donc, sans se départir de la toile et du châssis, mais à mille lieux du tableau de peinture classique, la main du plasticien peint et écrit à la fois,  même si au cours de son processus créateur il traite la structure globale de son futur tableau, comme le fait un peintre classique.

Imed Jamaiel, Le Dessous des Ratures, 2014
Imed Jamaiel, Le Dessous des Ratures, 2014

Un processus créateur de dévoilement

Au bout du compte, et en questionnant l’auteur peintre-écrivant au traceur d’acrylique, sur ce que cette aventure lui a apporté de plus et de neuf, et à la suite de son silence révélateur, je pense avoir percé une part du secret de ses peintures en faisant la jonction avec la notion des tablettes de bois de notre patrimoine tunisien d’autrefois. En effet, l’instituteur d’alors écrivait sur des tablettes de bois qu’il donnait à réciter aux enfants. Côtoyant le texte, sur la tablette figuraient aussi des formes géométriques triangulaires aux couleurs vives comme ce que nous voyons sur « Le Dessous de ratures ».

Une fois le texte appris, le maître procédait à l’effacement – qui n’en est pas un – du texte, car il recouvrait la tablette d’une couche d’argile fraîche, puis attendait que celle-ci sèche et il se remettait à transcrire un nouveau texte à apprendre. Et ainsi de suite, les pages d’un livre immatériel se superposaient sans qu’on les aperçoive.

Contrairement à ce procédé de palimpseste, l’approche du plasticien Imed Jemaïel est par excellence celle du dévoilement, point besoin de recouvrir et de cacher, ce qu’il « a raturé » reste visible et perceptible sous la forme d’un langage plastique ouvert à toutes les émotions et à toutes les évocations, même si paradoxalement, les tableaux demeurent en quelque sorte fermés sur leurs mystères d’objets talismaniques. En outre, il s’agit d’un double paradoxe entretenu entre le perceptible et le mystérieux.

Amel Bouslama, 27 juillet 2014

Source de l’article : https://www.ibraaz.org/reviews/69